JRR Tolkien, le père fondateur de la fantasy

15 janv. 2019 Collection Pour les Nuls

Tolkien n’est pas l’inventeur de la fantasy, mais sans lui vous ne seriez pas en train de lire cet article, car le genre n’existerait probablement pas en tant que tel. Tout ce qui fut publié avant Le Seigneur des anneaux  – y compris Le  Hobbit  – constitue la préhistoire d’un domaine qu’il a codifié, tant sur le fond que sur la forme, en marquant non seulement des millions de lecteurs  ou de spectateurs,  mais aussi des générations de romanciers.

Pourquoi Tolkien est-il le père de la fantasy

Là où tous ceux qui l’ont précédé se contentaient de raconter des histoires, J. R. R. Tolkien a entrepris, avant même la publication de son premier livre, Le Hobbit, de créer un univers cohérent, une mythologie imaginaire – à l’image du Kalevala finlandais. Il n’a ni inventé les elfes, qui existent chez Lord Dunsany, ni les gobelins, qui existent chez George MacDonald, et encore moins les sorciers et les araignées géantes qu’on trouve à foison chez Robert E. Howard, mais il est le premier à avoir entrepris de constituer un monde secondaire complet et crédible, en y intégrant de nombeux mythes, depuis la mythologie scandinave et germanique jusqu’à la légende arthurienne ou les féeries shakespeariennes. De son vivant, Tolkien n’aura publié que deux romans – qui ne forment en réalité que les parties d’une même histoire – mais il aura passé sa vie entière à structurer cette mythologie imaginaire dans les moindres détails, comprenant des contes et de légendes, des langues imaginaires, des poèmes et des chansons, une généalogie et une histoire complexes. Cet immense travail, même inachevé, a définitivement installé une grammaire du genre.

Un phénomène de contre-culture

Le monde secondaire de Tolkien est si complet, si cohérent, que l’on peut croire en son existence réelle, ou au moins le considérer comme un monde alternatif qui aurait pu exister. Ce n’est pas un hasard si le succès du Seigneur des anneaux devint un véritable phénomène à partir du milieu des années 1960 parmi les étudiants américains, à la grande époque de la contre-culture beatnik, puis hippie (et pas seulement à cause de l’herbe à pipe que fument les Hobbits !), eux-mêmes en quête d’un monde alternatif. Le livre n’était pas seulement un phénomène d’édition et un énorme best-seller dont les ventes se comptent en millions. Il offrait aussi une façon différente de voir le monde, presque une philosophie de vie, opposant la brutalité impérialiste des orcs et des noirs sorciers au mode de vie contemplatif et harmonieux des elfes, ce qui, à l’époque de la guerre du Viêtnam et du flower power prenait un sens particulier. Le triomphe international du Seigneur des anneaux fut long à venir (traduit en France qu’en 1972, près de vingt ans après)  mais quand il s’installa, ce fut avec une ampleur de raz-de-marée. La tétralogie  obtint à la fois une reconnaissance littéraire unanime et un succès populaire inégalé à ce jour.

J.R.R Tolkien

John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) est né en Afrique du Sud, à Bloemfontein, dans une famille anglaise. Il n’y reste guère : sa mère, Mabel repart en Angleterre en 1895, avec lui et son frère cadet, tandis que son père, reste et meurt quelques mois après. La famille, sans revenus, s’installe chez les parents de Mabel près de Birmingham. Converti ainsi que sa mère au catholicisme, Tolkien entre en 1900 à la King Edward’s School de Birmingham, où il étudiera jusqu’en 1911, en se passionnant pour les langues anciennes et la philologie. Il découvre le grec ancien, puis le vieil anglais, le norrois et le gotique ainsi que les grands textes mythologiques ou légendaires du Moyen Âge anglo-saxon ou scandinave, notamment Beowulf et le  Kalevala  finlandais qui le passionne et pour lequel il apprend le finnois. À l’Exeter College d’Oxford, Tolkien poursuit ses études et se fiance en 1914 à Edith Bratt qu’il courtisait depuis son adolescence et s’inscrit au début de la Grande Guerre dans l’Officer’s Training Corps  (élèves officiers de réserve), ce qui lui permet de terminer ses études avant de rejoindre l’armée en 1915 avec le grade de sous-lieutenant. Avant de partir pour le front, il épouse Edith en mars 1916, puis participe  à la terrible bataille de la Somme comme officier de transmissions. Tombé malade, il est rapatrié et commence à écrire La Chute de Gondolin, premier de ses contes sur la Terre du Milieu. Après-guerre, Tolkien travaille pour l’Oxford English Dictionnary puis la famille (deux fils sont déjà nés) s’installe à Leeds, où il est nommé professeur d’université en 1924. L’année suivante, après la naissance de son troisième fils, Tolkien revient à Oxford où il devient professeur de vieil anglais au Pembroke College. C’est là, et pour amuser ses enfants, qu’il commence la rédaction du Hobbit.

Une oeuvre exigeante, largement commentée

Le Seigneur des anneaux n’est pas un livre facile, tant par son volume que par la lenteur des premiers chapitres ou l’accumulation de personnages. Mais c’est une oeuvre qui marque durablement ceux qui franchissent ces premiers obstacles. La quête de Frodon et Sam  est une tapisserie constituée de fils d’or et d’argent autant que de fils noirs et gris. Certains passages relèvent de l’horreur la plus angoissante, d’autres de la poésie, d’autres encore de l’épopée guerrière flamboyante. Et le plus étonnant, c’est que Le Seigneur des anneaux, malgré son volume, donne au lecteur le sentiment d’en avoir encore sous le capot. Ce que le livre ne dit pas semble aussi vaste que ce qu’il raconte. Le lecteur ne fait pas que lire une histoire : il entrevoit un univers tout entier. C’est un nouveau monde que nous découvrons, à la fois semblable au nôtre et entièrement différent, par sa magie, ses peuples et ses créatures fantastiques. Un monde qui, après Tolkien, ne cessera d’être exploré par ses successeurs.

Le jeu des interprétations

On a beaucoup dit sur des significations cachées du Seigneur des anneaux, alors que Tolkien n’a cessé de répéter qu’il n’avait pas voulu écrire autre chose qu’un conte. Et au jeu des interprétations, tout devient possible. Le Mal (Mordor) étant à l’Est et le salut (les Havres elfiques) à l’Ouest, on peut y voir aussi bien une allégorie de la Seconde Guerre mondiale et de la lutte contre Hitler-Sauron menée par le vaillant petit peuple britannique (Frodon et les Hobbits), qu’un récit anticommuniste, l’Est devenant dès lors l’URSS de Staline. On peut y voir également une fable chrétienne opposant le faible au fort et une parabole du combat contre le Mal, les elfes prenant dès lors un rôle angélique et Gandalf celui d’un prophète. Ou encore un récit écolo-décroissant, opposant l’ar de vivre rural et paisible des Hobbits, ainsi que l’amour de la nature présent tout au long du livre, chez les elfes ou chez les ents, à la fureur industrielle et guerrière d’un Mordor dont la grisaille évoque la pollution. On a enfin parlé de racisme, en opposant les elfes blonds, parés de toutes les vertus, et les orques noirs. Toutes ces interprétations ont été rejetées par Tolkien.

Une construction identique

D’un point de vue littéraire, on peut remarquer la construction analogue du Hobbit et du Seigneur des anneaux. Dans les deux cas, l’histoire commence dans la Comté par l’arrivée de Gandalf qui confie une quête à un héros récalcitrant, tellement inadapté à sa tâche qu’on se demande pourquoi le mage ne l’accomplit pas lui-même. Le héros est entouré par un groupe d’aventuriers, il trouve conseil auprès d’Elrond et des elfes, puis s’enfonce dans des contrées souterraines peuplées de gobelins (pour Bilbo) ou d’orques (pour Frodon). Dans les deux cas, une nouvelle rencontre avec un autre groupe d’elfes précède la traversée d’un territoire désolé, l’histoire s’achève par une bataille titanesque et la restauration d’un roi légitime, avant le retour du héros hobbit dans sa chère Comté. En toute logique, ce monument de la contre-culture ne pouvait laisser indifférent le monde du rock des seventies. Le groupe Led Zeppelin a plusieurs fois parcouru les Terres du Milieu, notamment dans The Battle of Evermore  (1971) ou Ramble On  (1969). Dans un style différent, la chanteuse Sally Oldfield a consacré un album folk entier au monde de Tolkien, Water Bearer  (1978), comprenant des passages chantés en elfique. Côté jeux, Le Seigneur des anneaux a directement inspiré Donjons et dragons ainsi que d'autres jeux de rôles et de plateau sans parler des jeux vidéos.

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